L’IA va transformer le travail en Europe et aux États-Unis d’ici à 2030

Un nouveau rapport du McKinsey Global Institute analyse en détail l’impact de l’intelligence artificielle (IA), notamment de l’IA générative, et de l’automatisation sur le marché du travail en Europe et aux États-Unis d’ici 2030. Selon les projections, jusqu’à 30% des heures travaillées actuellement pourraient être automatisées. Cela entrainerait des transitions professionnelles majeures et une évolution significative des compétences recherchées. Cette transformation représente à la fois une opportunité pour doper la productivité et un défi pour accompagner les travailleurs.

Des transitions professionnelles qui s’accélèrent

En Europe, un rythme qui pourrait doubler

D’ici 2030, l’Europe pourrait avoir besoin de 12 millions de transitions professionnelles, soit le double du rythme d’avant la pandémie. Dans un scénario d’adoption plus lente des technologies, ce chiffre serait de 8,5 millions, affectant 4,6% des travailleurs.
Les secteurs les plus touchés seraient :

  • Le commerce de gros et de détail, avec 2,8 millions de personnes potentiellement concernées, soit le secteur le plus impacté
  • L’industrie manufacturière, avec 2,1 millions de transitions nécessaires, en deuxième position
  • La finance, avec environ 600 000 personnes qui devraient changer de métier

Aux États-Unis, un retour à la normale

Outre-Atlantique, près de 12 millions de transitions seraient également requises. Mais cela correspondrait au rythme historique d’avant la pandémie, le marché du travail américain étant structurellement plus dynamique.
Pendant le pic de la crise du Covid-19, les deux régions ont démontré leur capacité d’adaptation, avec des réallocations encore plus importantes. Celles-ci se sont élevées à 2,2 millions par an en Europe et à 2,9 millions aux États-Unis. Cela suggère qu’elles sont en mesure de gérer les transitions à venir.

Une demande croissante pour certains métiers, en recul pour d’autres

Les métiers d’avenir

Parallèlement, la demande devrait fortement augmenter pour :

  • Les professionnels des STEM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques) : +17 à 30%, soit 7 millions de postes supplémentaires dans chaque région
  • Les métiers de la santé : +25 à 30%. On estime à 3,3 millions les créations de postes en Europe et à 3,5 millions aux États-Unis
  • Les postes de direction, de professionnels du droit et du commerce, qui resteraient dynamiques

Cette hausse s’explique par la numérisation croissante de l’économie et les besoins d’une population vieillissante.

Les métiers en déclin

À l’inverse, les métiers de support administratif, de service client, de vente et de production verraient leur demande baisser. Ainsi, on passerait de 300 000 à 5 millions de postes en Europe. Aux Etats-Unis, ce serait de 100 000 à 3,7 millions.
Ces emplois comportent une grande part de tâches répétitives et de traitement de données basique. Il s’agit de tâches que les systèmes automatisés et l’IA peuvent réaliser efficacement. La montée en puissance du commerce en ligne accentue aussi le recul des postes de vente en magasin.

Une évolution profonde des compétences recherchées

Compétences technologiques et socio-émotionnelles en forte hausse

Les compétences technologiques et socio-émotionnelles seront de plus en plus demandées. Parallèlement, le besoin de compétences physiques, manuelles et cognitives de base diminuera.
Selon le rapport, en Europe, la demande pour les compétences technologiques pourrait bondir de 25%. Dans le même temps, celle pour les compétences socio-émotionnelles progresserait de 11% (respectivement +29% et +14% aux États-Unis).

Cela reflète les besoins croissants en matière de :

  • Conception, ingénierie et maintenance des technologies
  • Recherche et développement scientifiques
  • Compétences IT avancées et programmation
  • Analyse de données et compétences mathématiques poussées
  • Leadership et management d’équipes
  • Empathie et compétences interpersonnelles
  • Adaptabilité et apprentissage continu

En revanche, la demande pour les tâches reposant principalement sur des compétences cognitives basiques (saisie de données, traitement d’informations simples, communication et calcul de base) pourrait chuter de 14% en Europe et aux États-Unis. Ces compétences sont surtout mobilisées dans les métiers de support administratif et de service client, très exposés à l’automatisation.

Des pénuries de compétences déjà présentes

Une enquête auprès de dirigeants européens et américains révèle des pénuries actuelles dans les compétences technologiques avancées (IT, data science), la pensée critique et la créativité. Un tiers des entreprises font état d’un déficit dans ces domaines cruciaux.
Le défi est plus marqué en Europe qu’aux États-Unis. L’écart est de 6 points pour les compétences technologiques et de 2 points pour les compétences cognitives supérieures.
Pour y remédier, les entreprises misent en priorité sur la formation de leurs employés, en plus du recrutement et de la sous-traitance.

Des enjeux d’équité sociale à anticiper

Un risque de polarisation accru

Les travailleurs les moins bien rémunérés risquent d’être les plus touchés par l’automatisation. En Europe, ils auraient 3 à 5 fois plus de risques de devoir changer de métier que les plus hauts salaires. L’écart est encore plus marqué aux États-Unis, où ce ratio grimpe à 10-14.
Une requalification et un accompagnement seront cruciaux pour permettre à tous de tirer parti des nouvelles opportunités créées par l’IA. Sans cela, le marché du travail pourrait se polariser davantage entre des emplois très qualifiés en pénurie de talents et des postes peu qualifiés en excédent de main d’œuvre.

Des défis spécifiques pour certains profils

Sur la base des données démographiques actuelles, les travailleurs moins diplômés et les femmes pourraient être surreprésentés parmi les personnes devant se reconvertir.
Les métiers de support administratif, très féminisés et ne requérant souvent pas de diplôme supérieur, figurent en effet parmi les plus susceptibles d’être automatisés. Un effort particulier devra donc être consenti pour accompagner ces profils.

Des différences entre pays, mais une dynamique commune

Un impact assez homogène en Europe

À l’échelle européenne, la part des actifs devant changer de métier d’ici 2030 s’échelonnerait dans une fourchette assez resserrée, de 6% au Royaume-Uni à 7,4% en Suède.

Mais la composition des métiers affectés varierait selon la structure économique propre à chaque pays :

  • Les transitions depuis les métiers de support administratif pèseraient plus lourd en Allemagne et en Italie
  • Les reconversions depuis la production industrielle seraient surreprésentées en Pologne et en République tchèque, du fait de leur tissu manufacturier
  • Les transitions depuis l’agriculture seraient plus marquées en Pologne, où la main d’œuvre agricole reste importante

Des enjeux communs malgré les spécificités locales

Au-delà de ces variations, tous les pays étudiés font face au même défi : accompagner les travailleurs depuis les métiers en déclin vers ceux en essor, en misant sur le développement des compétences.
Certaines régions cumulent les fragilités, avec une main d’œuvre plus âgée, moins diplômée et concentrée dans des secteurs exposés. Elles devront faire l’objet d’une attention particulière.
Mais globalement, l’Europe part d’une situation plus homogène que les États-Unis en termes d’inégalités et dispose d’atouts, comme un dialogue social plus développé, pour négocier les transitions.

Conclusion : Faire les bons choix aujourd’hui pour façonner l’avenir du travail

Les choix faits aujourd’hui par les entreprises et les gouvernements façonneront l’avenir du travail. Miser sur une adoption proactive des technologies d’IA et d’automatisation, couplée à une stratégie ambitieuse de développement des compétences, pourrait doper la productivité jusqu’à 3% par an en Europe.
À l’inverse, une adoption lente sans anticipation des transitions laisserait des millions de personnes sur le carreau et limiterait les gains de productivité à 0,3%, proche du niveau actuel.
L’enjeu est donc de tirer le meilleur parti de l’IA pour la croissance et la prospérité, tout en investissant massivement dans le capital humain. Cela passera par :

  • Une acculturation des dirigeants aux enjeux de l’IA pour définir une vision et une feuille de route
  • Une analyse fine des activités automatisables et des besoins en compétences pour planifier les évolutions d’effectifs
  • Des programmes de formation et de reconversion à grande échelle, en lien avec l’écosystème éducatif
  • Un dialogue social nourri pour co-construire les transitions et assurer leur équité
  • Des politiques publiques de soutien à la R&D, à la diffusion de l’IA et à l’accompagnement des travailleurs

En faisant les bons choix dès maintenant, l’Europe et les États-Unis peuvent faire de l’IA une opportunité unique de conjuguer productivité, prospérité et progrès social. L’avenir du travail est entre nos mains.